La tour
Album sur clé usb, 13 p, 5 ex
Il s’agit de la tour longeant la rue du Stand. Lieu où se situaient exactement les ateliers d’artistes dans le bâtiment 71 d’Artamis. Cela avait débuté lorsque Fabien Piccand, un étudiant de l’école des arts décoratifs faisait son mémoire de diplôme sur le projet de monter un centre culturel dans les locaux vides des services industriels genevois.
Il lance le projet en « live » en 1996, avec des réunions ouvertes à tous qui prennent la décision de l’occupation du site à la rue du Stand.
Ensuite pendant 12 ans, environ 200 personnes associées gèrent l'association avec des problématiques allant des poubelles jusqu’à la sécurité dans les lieux accueillant des publics.
Artamis est un espace où la politique passe à la moulinette du réel.
Chacun est mis à l’épreuve par l’autogestion: Le temps passé à négocier avec les tensions est une école. Cela va lentement mais cela fait avancer chacun par l’enrichissement d'expériences vécues collectivement.
Les locaux bon marché permettent que la diversité culturelle s’épanouisse. Les échanges entre tous les secteurs se font naturellement et sans pression économique. La liberté et le lieu permettent l'éclosion d’enrichissement infini.
La rénovation du site d’Artamis se pose à l’approche des années 2000.
Le quartier est si grand qu’il permet d’imaginer un développement exemplaire dans le cadre de la loi genevoise du développement durable.
Situé au centre de la ville, il pourrait devenir un poumon vert ainsi qu'un lieu de travail qui ne subit pas ou peu les pressions du marché.
Dans cette perspective, une association faîtière est créée sous le nom de Coquelicot. Elle regroupe des associations et des coopératives d’habitations.
Calée sur les principes de développement durable, (gestion du social de l’économie et de l’écologie sans nuisance) l’association Coquelicot invite à se réunir à une table de discussion, Artamis et les propriétaires foncier que sont L’Etat de Genève et la Ville de Genève.
Réunir la Ville et l’Etat de Genève à une même table ? Oui Coquelicot l’a fait !
Un projet dessiné par Alain Vaucher, grand architecte, est mis en concertation. Un des but étant de proposer de l’autoconstruction dans une partie des bâtiments existants, afin de pérenniser les loyers abordables pour les artistes. Il y est aussi prévu du logement.
Le projet propose de créer un maximum d’espaces de végétation dans un quartier sans voiture pour tendre vers le respect de la qualité de toutes les vies.
Un des éléments fondateur du projet de l’association Coquelicot est la construction d'un espace de forum, outil permanent pour que les utilisateurs puissent discuter et prendre des décisions en concertation avec les usagers du quartier.
Se pose alors la question de la décontamination des sols.
Des carottages sont effectués et un plan d’action est mis en place par les autorités en la matière. Mais pour Coquelicot il est impossible d’en connaître les tenants et aboutissants écologiques et financiers: Le politique bloque l'info et nous fait comprendre que nous n’avons pas d’avis à donner sur le sujet.
Puis, tout aussi abruptement, un partenaire incongru est imposé au groupe de travail avec la Ville et L’Etat: Sous prétexte d’exploitation des sous-sol, la Fondation des Parkings débarque en force à la table des discussions.
C’est la goutte de trop qui fait déborder le vase.
L’Association Coquelicot qui se dissout se retire du groupe de projet.
La Codha, un membre de Coquelicot, reste pour défendre ses propres intérêts de propriétaire de logement.
En 2008 le site est vidé de ses utilisateurs. Certains créateurs migrent au Vélodrome, espace mis à la disposition par la Ville et d'autres à Ernest Pictet dans un bâtiment subventionné par Wilsdorf.
Aucune solution de relogement n’est proposée à beaucoup de collectifs, comme par exemple tous ceux des lieux publics. Par conséquent le Piment Rouge disparaît.
Ensuite on voit se dessiner les plans de quartier qui présente une densité de constructions qui laisse sans voix. Ce sont des surfaces commerciales, une école et beaucoup, beaucoup de logements. Aucun atelier d’artiste ou studio de son. Tout est neuf et rutilant de béton.
Le volet de la "nature en Ville" est abandonné pour recouvrir l'espace de goudron et de plantes en bac.
La question de rentabilité financière pour les propriétaires prime sur la vraie vie.
En plus les politiques ratent l’occasion de travailler en respectant le volet social de la durabilité : Aucune prise en compte n’a lieu et l’expérience de gestion horizontale et alternative. Les associations Artamis et Coquelicot sont annihilées. Et l'écologie oubliée.
Le travail de photo que je présente ici est appelé « La tour ». C'est une sorte de témoignage. Il s'est
développé parce que je passais régulièrement sur la terrasse du Seujet, en face du chantier. Certainement pour trouver une façon de le digérer l’évacuation d'Artamis, et vérifier que cela est bien vrai.
Les photos sont maladroites. L’album n’est pas plaisant. J'ai de la difficulté à bien regarder la tour qui se construit, tant cela fait de la peine. Je fais ces photos avec mon smartphone, sans y penser. C'est trop d'émotions.
Le vrai travail sincère de l'association Coquelicot n’aura pas porté de fruits.
Rien n'en subsiste.
En 2016, Alain Vaucher, son architecte, est mort, et je pense souvent que ce n'est pas plus mal qu'il ne voie pas le nouveau quartier.